Fraternité Catholique EurAfricaine

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Jean-Paul II béatifie Sœur Anuarite à Kinshasa (15 août 1985).

 Notre pays a eu le privilège de recevoir le Pape Jean-Paul II pour la seconde fois. Il n’y a que cinq pays dans le monde qui aient reçu deux visites du Pape depuis son accession au souverain pontificat en 1978 : la Pologne, et les raisons en sont évidentes ; la France, mais le pèlerinage à Lourdes à l’Assomption 1983 n’était au fond qu’une compensation pour le voyage prévu là lors du congrès eucharistique et empêché par l’attentat du 13 mai 1981 ; la Côte d’Ivoire, car le Pape vient d’inaugurer la déjà célèbre cathédrale d’Abidjan ; le Kenya, pour le congrès eucharistique de cette année ; le Zaïre, enfin, pour la béatification de Sœur Anuarite.
 Sur les cinq pays ainsi favorisés trois sont africains. Et des observateurs européens notent que la prédilection du Saint Père pour notre continent est sans doute due à la fraicheur et à l’authenticité de la foi chez nous. Le Pape se sent à l’aise dans n’importe quel rassemblement de jeunes : il se sent chez lui dans nos « jeunes » Eglises, et l’on comprend sa joie de béatifier une martyre de la pureté de 23 ans.

 Sur la grande avenue qui mène à l’aéroport de Kinshasa, on s’affaire dés le début de l’après-midi du 14 août. On y trouve pourtant moins de monde qu’en 1980. La curiosité est émoussée, ce qui fait dire : « Le Pape devrait venir tous les cent ans ! » Oui, s’il cherche la gloriole. Non, s’il vient témoigner de l’amour.
 Enfin arrive le moment de l’accueil. La porte de l’avion, qui vient de s’immobiliser, est ouverte. Jean-Paul II met trop de temps à sortir, nous sommes impatients. Et voilà qu’enfin la télévision nous le montre. Il a l’air très fatigué, et d’ailleurs il aura beaucoup de mal à répondre à l’aimable mot d’accueil du Chef de l’Etat. Que lui a-t-on fait en Centrafrique ? Mais là-bas, c’est la saison chaude, le pape en a sans doute souffert. Et ne porte-t-il pas la marque de la « sollicitude pour toutes les Eglises » ? On se sent porté à prier pour lui, spécialement pour la réussite du synode extraordinaire des évêques, convoqué à Rome pour le 20ème anniversaire de la clôture du Concile Vatican II.
 Mais bientôt le Saint-Père se reprend. Debout aux côtés du Président Mobutu, il se redresse. Il est vrai que la parade militaire de la garde d’honneur qui défile à leurs pieds a de quoi réjouir le cœur des hommes ! Puis, c’est un nombre impressionnant d’officiels que le Pape doit saluer un à un, tout en se frayant un passage vers les évêques du Zaïre. Chacun scrute l’écran, est heureux d’y reconnaître les traits de son évêque… et se demande où il fallait s’adresser pour obtenir un laisser-passer pour l’accueil du Pape à Ndjili : la prochaine fois, il faudra se renseigner auprès de la délégation polonaise, qui est là, bannière rouge et blanche déployée, fanion de gueule à l’aigle d’argent tressautant dans l’enthousiasme.
 Kinshasa ne montre pas sa plus belle parure : c’est la saison sèche, le ciel est gris, le fleuve brunâtre, l’herbe jaune et cassante, le peu de feuille subsistant aux arbres disparaît sous la poussière. Ce soir le Pape n’en verra rien : la nuit est tombée depuis longtemps lorsqu’il quitte l’aérodrome. La foule pourtant l’a attendu, à chaque instant plus nombreuse ; des religieuses s’embrassent sans complexe ; tout le monde frémit dés qu’apparaissent au coude de la route les phares d’un véhicule. Enfin ce sont les motards ! Et derrière eux, debout en pleine lumière dans une « papamobile », flanqué du Cardinal Malula, voici le Saint-Père, ovationné par la foule qu’il aperçoit sans doute à la lueur des lanternes du convoi qui l’accompagne jusqu’à la Nonciature.

 Le lendemain pourtant le soleil inonde de sa gloire l’esplanade du Palais du Peuple, siège du pouvoir législatif. Il est difficile d’évaluer la foule qui s’y presse : 10 000 ? Plusieurs centaines de milliers ? Peut-être certains ont-ils été dissuadés de venir par le souvenir de la bousculade atroce de 1980 : les services de l’épiscopat avaient alors demandé que les grilles soient ouvertes dés cinq heures, elles ne l’avaient été qu’à sept, par les Chinois qui, après avoir construit le Palais, en avaient conservé la gestion. Mais cette année tout se passera sans le moindre incident.
 On est même frappé par l’organisation impeccable de ces célébrations. La foule entre librement mais les tribunes à l’entour du podium ne sont accessibles qu’aux personnes munies de ce qu’on appelle à Kinshasa un ‘macaron’ : en fait il s’agit d’un insigne rectangulaire, délivré par l’administration civile, par exemple pour la presse, ou bien par le secrétariat de l’épiscopat, pour les concélébrants.
 De fort beaux livrets ont été distribués, qui permettent à tous de suivre pas à pas les cérémonies des 15 et 16 août à Kinshasa et Lubumbashi. Sur les sièges réservés aux concélébrants, on a déposé une lettre pastorale du Cardinal Malula : sous le titre « Tous appelés à la sainteté », il y développe ce thème bien mis en valeur au dernier concile, dans le contexte de la béatification de la première vierge et martyre zaïroise.
De leur côté, des religieuses, arborant des badges du « Protocole d’Etat », distribuent de petits fanions : vert et blanc à l’effigie du Président Fondateur et aux armes du Zaïre, ou jaune et blanc à l’effigie de Jean-Paul II et aux armoiries du Vatican. Le nom souvent entendu dans la capitale à propos de ces petits drapeaux des manifestations officielles est celui de ‘drapelets’. A l’issue de la messe, les soldats, qui n’en ont pas reçu, vont en demander à ceux qui ont eu plus de chance !
 Un abbé africain, qui a connu les ‘Equipes Notre-Dame’ en France, confie à son voisin, missionnaire européen : « Tout de même, ils auraient dû placer une statue de la Sainte Vierge près de l’autel ! » Mais ce regret n’empêche pas d’admirer la façon dont un prêtre a exhorté au micro les fidèles au recueillement, disant à peu près que si nous ne sommes pas dans un sanctuaire habituel, nous formons du moins, par notre prière, un édifice spirituel. Et cette indication sera bien observée : le même abbé dira, toujours à son voisin, quand le Pape arrivera à l’autel : « C’est pour lui le même espace spirituel que la place Saint Pierre ». En effet, même si les colonnes du Palais du Peuple sont d’un style radicalement différent de celles de Rome, même s’il manque les deux grands bras de la célèbre colonnade, c’est le même peuple de Dieu embrasé par l’amour du Christ : « La multitude des croyants n’avait qu’un seul cœur ».
 Tout semble parfaitement minuté. Déjà le Président a pris place avec son épouse à gauche du podium, à l’ombre de la façade. Quelques instants après, le Pape fait le tour de la foule, dans le véhicule ‘vert armée’ entrevu la veille au soir. Il gravit les marches de l’autel, se retourne vers l’assemblée, lève les bras pour la saluer.
La télévision est très infidèle, malgré elle : ils ont eu tort, ceux qui sont restés devant leur petit écran plutôt que d’aller sur place, pensant qu’ainsi ils verront mieux. Car la télévision ne transmet que ce qui est visible, tandis que l’essentiel ne se perçoit qu’avec le cœur. Extérieurement, on voit un homme important acclamé par la foule ; mais quand on est présent, on sent un Père qui voudrait saluer chacun de ses fils, un cœur qui déborde d’amour et qui est tout joyeux de sentir que ceux qu’il aime le lui rendent bien. C’est le mystère de l’Eglise et de la charité que les participants ont vécu là. Les téléspectateurs n’ont fait qu’y assister.
 Dés le début de la messe, Jean-Paul II prononce quelques mots en chacune des quatre langues africaines du pays. Un missionnaire commentera ensuite : « Il a très bien su mettre les accents exactement où il fallait, marquant la différence de chaque langage. » Effectivement chacun se sent personnellement touché par les phrases en lingala, ciluba, kikongo ou swahili. Dés lors la communication se poursuivra en français pour l’essentiel, à l’exception du Credo et du Pater en latin : dans cette langue, la communion de tous est rendue sensible, selon les vœux du dernier concile, que les fidèles sachent chanter en latin les parties de la messe qui leur reviennent.
 Vient alors le rite de la béatification proprement dite, émouvant par sa sobriété. Monseigneur Uma Arakayo Amabe, évêque d’Isiro-Niangara, présente la demande au Saint-Père en des termes rituels peut-être un peu vieillis, puis retrace la vie de Sœur Anuarite. Les parents de celle-ci sont présents et ne sont certes pas les moins émus. Quelle joie lorsque le Pape proclame bienheureuse notre sœur aînée !
 La suite de la liturgie est celle de l’Assomption. On espère fermement que désormais le 15 août sera jour férié dans tout le Zaïre, en souvenir de cette journée historique. Les deux premières lectures sont faites en lingala, l’Evangile est proclamé en français. Il faudra relire attentivement l’homélie du Saint-Père lorsqu’elle sera publiée. Un passage mérite pourtant d’être souligné ici : « Anuarite a pardonné, moi aussi, au nom de toute l’Eglise, je pardonne. » L’un des complices du meurtre, qui vit encore aujourd’hui, avait déclaré dans une entrevue publiée par un périodique kinois : « Je demande pardon. » Le voilà exaucé. Que tous méditent cette attitude chrétienne ! Le R.P. Delhez s.j., dans son petit livre « La bienheureuse Anuarite et le Pape Jean-Paul II », paru aux éditions Saint-Paul/Afrique, avait noté que ces deux personnages étaient faits pour se rencontrer, précisément à cause du pardon accordé aux agresseurs.
 On se souviendra aussi de l’ample geste du Président invitant ses enfants à suivre son épouse, Mama Bobi Ladawa, qui allait recevoir la communion des mains du Saint-Père : beaucoup ont prié pour qu’ils en gardent une grâce inaltérable. Pendant l’action de grâce, en chantant le Magnificat, les participants louaient Dieu d’avoir fait rayonner sa gloire sur ses humbles servantes : Marie prise corps et âme au ciel, Anuarite honorée dans l’Eglise militante. Et ils le remerciaient d’avoir assisté à ces deux fêtes réunies. Vers midi la foule se retire, calmement, après un dernier adieu au Pape.

 A quinze heures une célébration importante devait avoir lieu à la cathédrale : une douzaine de religieuses ainsi qu’une demi-douzaine de frères (surtout dominicains et prémontrés) allaient prononcer leurs vœux devant le Pape.  Tous les religieux étaient ainsi confortés dans leur vocation : Jean-Paul II en personne recevant des professions était un signe que c’est au Christ lui-même qu’ils se donnent . Tous nous étions concernés : c’est dans le Christ que nos avons été baptisés. Et c’est pour le Christ que nous devons, s’il le faut, verser notre sang, comme Anuarite.
 Après le Pater et la bénédiction finale en latin, on nous annonce que le Saint-Père a accepté de bénir la grotte de Lourdes qui jouxte la cathédrale et vient de faire l’objet de travaux de réfection. Quelques instants après, Jean-Paul II est de retour en haut des degrés du chœur. De là, alors que la procession se met déjà en place dans la nef, il prend la parole, laissant parler son cœur, libérés des textes fort bien pensés mais rédigés hors de l’ambiance du moment : « Je vais vous dire encore quelque chose. Savez-vous ce que nous dit cette journée du 15 août 1985 ? Elle nous dit que l’âme africaine est riche ! » (vifs applaudissements) « L’âme africaine est riche lorsque le Christ y entre ! » Et il explique comment la bienheureuse Anuarite en a fait la démonstration. Il nous quitte alors, trop tôt pour notre goût – pour le sien aussi sans doute – mais en serrant la main des fidèles proches de l’allée, du côté de la nef où il n’a pas été en entrant.
 Le Président de la République du Zaïre reçoit alors dans sa résidence officielle le Chef de l’Eglise catholique. Ceux qui ont pu suivre à la radio ou à la télévision les discours échangés rapportent qu’ils furent conformes à leurs habitudes respectives en semblables circonstances : fort bon pour celui-là, très précis pour celui-ci.
 Le lendemain matin Jean-Paul II devait s’envoler pour Lubumbashi et y dire la messe de la bienheureuse Anuarite. Certains prêtres l’ont un peu devancé en utilisant le livret mis à leur disposition la veille (lectures : Sir 51, 6-12 ; Rom 8, 31-39 ; Mat 10, 28-33). A Limete, en sortant de la messe vers 7 heures 15, entendant les sirènes des voitures de police, ils auront juste le temps de se rendre au bord de l’avenue pour faire un geste d’adieu au Saint-Père.
 Ou un geste d’au-revoir ! Car on dit que le Président-Fondateur est bien impressionné par la cathédrale d’Abidjan, et que dans un esprit de saine émulation il y voit une sorte de défi national. Le Pape aurait même promis de venir pour l’inauguration. Béatifiera-t-il alors le martyr Isidore Bakanja ? Ou encore des missionnaires tués dans les mêmes circonstances qu’Anuarite ? Il faudrait alors que la préparation spirituelle ne se limite pas aux seuls diocèses visités. Mais pourquoi le nôtre ne le serait-il pas cette fois-là ?

(Par un témoin oculaire)



18/02/2020
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