Le baptême des Mankagnes en 1931
Les Mankagnes (ou Brames) sont un petit peuple vivant de part et d’autre de la frontière entre le Sénégal et la Guinée-Bissau. Un chef musulman avait voulu les convertir de force et cela les avait braqués. En Guinée, ils voyaient des prêtres mais les percevaient comme distants : ils étaient les héritiers de la tradition missionnaire portugaise qui n’avait peut-être pas assez évolué depuis les siècles passés. Au Sénégal, les missionnaires spiritains passaient de village en village, parlant la langue des différentes ethnies, dormant à la dure…
Un jour de 1929 le Père Esvan, spiritain, est accueilli par le chef mankagne du village de Kénia non loin de Ziguinchor, la capitale de la Casamance, province méridionale du Sénégal : « Des jeunes veulent vous parler. » Il s’en suivit une série de catéchèses du soir, données par un catéchiste d’une ethnie voisine, adressée à des adolescents garçons et filles sous l’abri d’une cabane hâtivement construite, et cela dura deux ans.
A la Pentecôte 1931, ils étaient prêts à recevoir le baptême : leur assiduité aux réunions et aux prières du dimanche en attestait. La cérémonie devait avoir lieu dans l’église de Ziguinchor. (La préfecture apostolique n’y a été érigée qu’en 1939, et le vicariat apostolique en 1952.) Les anciens voulurent empêcher le baptême des jeunes, et la paroisse en fut avertie : les vêtements blancs des cathéchumènes furent déposés chez les parrains et marraines. Ayant revêtu ces habits, les jeunes se mirent en procession : celle-ci fut attaquée à coups de bâtons et de coupe-coupe ! Protégés par la population, les jeunes purent entrer dans l’église et être baptisés. On leur avait raconté l’histoire des martyrs de l’Ouganda, et ils étaient prêts à faire face à la persécution. Le Père Louis Le Hunsec[1], qui rapporte ces évènements, dit qu’il n’y avait que des garçons, mais les registres font état du baptême d’une certaine Françoise Nadiéline. Et peu de temps après, les fiancées des nouveaux chrétiens reçurent elles-mêmes le baptême.
Le même Père raconte aussi que lorsqu’il était à Dakar[2] on lui demanda de venir au chevet d’une vieille femme dont il était le seul à connaître la langue. C’était une Mankagne qu’on avait mariée de force en Guinée pour l’empêcher de recevoir le baptême ; mais elle avait fait en sorte que ses enfants, envoyés au Sénégal, puissent le recevoir, et, devenue veuve, elle les avait rejoints : elle put enfin recevoir le baptême !
Dom Ange-Marie Niouky osb, Père Abbé émérite de Keur Moussa (filiale de Solesmes située non loin de Dakar dans le diocèse de Thiès), est lui-même un Mankagne originaire de Kénia. Il a tenu à écrire une belle méditation (non encore pbliée) pour le quatre-vingt-dixième anniversaire de cet évènement, mais aussi à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire du début de la traduction des quatre évangiles en langue mankagne. Ce dernier travail fut réalisé grâce à différents concours, dont celui d’étudiants mankagnes en Lettres à Dakar. Il fut terminé en 1999, date de l’imprimatur ad experimentum. Grâce à l’Aide à l’Eglise en Détresse, les évangiles en mankagne furent imprimés en 2000. En 2014 tout le Nouveau Testament était traduit.
En lien avec cette épopée, un alphabet fut élaboré pour rendre compte des subtilités de la prononciation du mankagne ; surtout un livre parut sur les Us et coutumes des Mankagnes.[3]
[1] A ne pas confondre avec son grand oncle Mgr Louis Le Hunsec, préfet apostolique du Sénégal jusqu’en 1950 ; celui dont il est question ici a écrit « 35 ans de bonheur en Casamance » (Copy-Offnet - Saint Martin d'Hères - 1989 - 210 p.)
[2] Ayant laissé la place aux jeunes en Casamance, il fut quelques années aumônier d’hôpitaux à Dakar.
[3] Brames ou Mancagnes du Sénégal et de la Guinee Bissau, Essai Sur Leurs Us et Coutumes – septembre 2011 - de Ange-Marie Niouky (Auteur), Michel Robert (Auteur), Alberto Kaly (Auteur), Justin Boissy (Auteur), Pierrre Tine (Postface)
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